Le réalisme de la photographie masque très souvent des intentions d’artistes qui n’ont rien à voir avec une volonté de conformité au réel. Si le public reconnaît spontanément dans le dessin ou la peinture des vecteurs d’émotions ou de sentiments, c’est moins vrai en ce qui concerne les images argentiques ou numériques qu’il perçoit avant tout comme des empreintes exactes de la réalité.
Pour qu’il passe au-dessus de cette perception, il lui faut un contexte qui oriente sa lecture, qui lui signale une intention différente. La galerie la Part du Feu en donne un bel exemple en ce moment avec l’exposition “Another Time” de Nicolas Leroy.
Dès l’entrée, l’image d’un Jésus Christ défiguré nous indique qu’ici l’enjeu est celui—séculaire—des icônes, à savoir celui de la transfiguration. À l’instar de ce changement d’apparence corporelle de Jésus qui révéla sa nature divine, le changement de registre de lecture est censé nous laisser apparaître le monde concret qui nous entoure sous un autre jour, comme transcendé.
En même temps, la même reproduction du Christ sans visage nous renvoie à la métaphore du voile de Véronique (“Vera” — “icon”, vraie image). À ceci près que le tissu semblerait ici avoir décollé la Sainte Face. Une façon de signaler le pis-aller de la surface pour “dévoiler” la profondeur en dépit du “Rien n’est plus profond que la peau” asséné par Paul Valéry. Le tirage en grand format exposé en vis-à-vis d’un arbre déraciné — littéralement décollé de son substrat — vient d’ailleurs corroborer cette quête difficile du fond par la forme.
Dès lors, on regarde la suite à travers le prisme de ces interrogations fondamentales. Au centre de la seconde pièce, un grand format laisse apparaître, comme dans une aquarelle, des nuages de couleurs. Dans cette vue effectuée la nuit, les traces d’étoiles filantes se sont inscrites avec une grande netteté comme autant de griffures du réel dans l’esthétisme éthéré. Tout à côté, la photographie d’un bosquet striée par un cadrage serré sur des troncs de bouleaux semble aussi défier de la plasticité facile par une teinte sépia qui la renvoie au début du XXe siècle. Autant dire aux calendes grecques concernant le questionnement des photographes quant à la place de leur médium dans le champ artistique. Un peu plus loin, une troisième photo de format carré nous montre une sorte de moule réalisé à même la terre. Un contretype primitif réalisé par l’auteur lui-même. C’est l’installation d’un artiste qui semble nous dire “je ne suis pas un photographe”, même si le dispositif de la photo comme trace semble le préoccuper au plus haut point.
Un article de Jean Marc Bodson dans La Libre Culture - 30/11/2016